Théâtre de Constantine : Les rénovations aux mille facettes –
Pour entrer dans ce haut lieu de la culture, où chaque soirée devient un événement historique, il faudra encore patienter quelque temps.
C’est l’histoire d’un endroit mythique, ensorceleur. L’histoire d’une vieille cité qui s’obstine à défendre sa conscience, sa mémoire. C’est, enfin, l’histoire la plus connue sur la place publique ici, au Vieux rocher. L’histoire du théâtre de Constantine.
Tout débuta avec la "conquête" des français qui ambitionnaient de nous conter l’Histoire, de marquer la puissance civilisatrice en édifiant une œuvre architecturale qui effacerait le prestige du somptueux palais du Bey. Le conseil municipal se réunira dès 1850 pour débattre de l’éventualité de construire un opéra à Constantine, d’autant plus qu’Alger se dotait déjà de son théâtre. Et donc, il fallait faire vite et surtout faire bien. Ainsi, la caserne des janissaires, située en plein cœur de Bab El-Oued, sera détruite pour laisser place au futur théâtre de Constantine. Un concours international est alors lancé et l’on optera finalement pour un opéra de style italien, avec des loges et des galeries pouvant accueillir jusqu’à 600 spectateurs.
La construction de cet édifice associera alors de grands peintres et sculpteurs qui réalisèrent les statues, les bas-reliefs de la façade et les peintures à l’intérieur du théâtre. Ces artistes ne purent pas échapper à l’influence des chefs-d’œuvre architecturaux de la renaissance italienne également, inspirés de la Rome ancienne. D’ailleurs, cette influence est fortement ressentie au niveau des colonnes toscanes et composites des péristyles et salle de spectacle. Les travaux sont lancés en 1861. Ils dureront plus de vingt ans.
Le 6 octobre 1883, l’Opéra municipal de Constantine est inauguré. L’œuvre est somptueuse, époustouflante. Depuis cette date, les Français et quelques indigènes — parqués au poulailler — ont pu acclamer des opéras de Mozart, Verdi et on eu droit aux plus grands spectacles de l’époque. Farid El-Attrach s’y est produit en 1948, Youcef Wahbi en 1949. Depuis l’indépendance, le théâtre de Constantine a accueilli des troupes plus prestigieuses les unes que les autres. Ont été programmés : le Cirque de Moscou, le Ballet Mossoev, la Comédie française et autres Maria Casares, Faïrouz, Essafi, Warda, Belkhayat… Les plus grands artistes algériens sont également passés par là : El Anka, El Ankis, Guerrouabi, etc. La liste est davantage exhaustive. Plus d’un siècle est passé depuis l’inauguration du théâtre municipal de Constantine. Fatiguée, surmenée, la bâtisse, jadis chaleureuse, est devenue une source potentielle de danger public. "Nous vivions sur une boîte d’allumettes", nous a déclaré M. Merabia, directeur du TRC.
"L’installation électrique devenait dangereuse", a-t-il ajouté. D’ailleurs, la Protection civile avait déjà signifié, cela fait 15 ans, la fermeture pure et simple du théâtre. Et donc, il fallait redonner de l’aplomb à cette bâtisse centenaire surmenée par tant de gloire et part tant de passion. On décide alors de lui "octroyer" une "remise à niveau", ce que le plus commun des Constantinois appellera "restauration". "Ce n’est pas une restauration", a rappliqué M. Merabia. Pareille entreprise nécessiterait le déploiement d’un arsenal de gens spécialisés en la matière qui ne sont même pas disponibles à un niveau national, ce n’est qu’une opération de "retape" afin de rendre ce monument cultuel plus attractif. Des sommes importantes ont été débloquées pour restaurer le TRC.
Cette restauration, comme il est convenu de l’appeler ici à Constantine, consistait en la mise en place de nouveaux équipements électriques, d’un nouveau procédé d’éclairage, en l’installation du chauffage, de la climatisation, de la siégerie et de la sonorisation. "Aujourd’hui, on peut affirmer que le TRC est doté d’équipement à même d’assurer une convenable fonctionnalité", nous a déclaré M. Merabia. Et cette opération de restauration est étonnante, pleine de hasards objectifs, pleine d’instructions, de rencontres fortuites, de coups de cœur et de coups de "gueule". Au départ, il fallait de l’audace et de la passion.
Dès lors, à la magnificence architecturale, à la restauration d’un lieu, témoin d’une époque, se sont greffées les nécessités fonctionnelles relevant de la fabrication du spectacle. Vingt mois de dur labeur et sûrement plus ont été nécessaires pour réveiller ce théâtre "fantôme" pour le renaître de ses cendres et pour le réconcilier avec sa prestigieuse et non moins historique troupe.
Cette rénovation était une gageure, un pari, et à chaque jour suffisait son lot de fatigue, d’incompréhension, de doute et de peur de mal faire. Pour le maître d’œuvre, le plus dur était de concilier les fonctionnalités des nouveaux équipements avec l’essence même du style architectural de la bâtisse. Et entre le geste architectural et cette périlleuse et complexe fonctionnalité, il fallait rénover avec une extrême prudence afin de sauvegarder le style italien de l’opéra de Constantine. "Ce n’était pas facile", nous a déclaré le directeur du théâtre, apparemment surmené par tant d’efforts. "Il ne s’agissait pas de restauration, qui aurait supposé une autre démarche et des moyens beaucoup plus conséquents, mais d’une opération urgente de sauvetage du TRC", a-t-il ajouté.
Enfin, les travaux qui prendront fin incessamment permettront aux Constantinois de "redécouvrir" le théâtre régional de Constantine, leur théâtre. Quant au premier spectacle, il faudra patienter encore quelque temps, car c’est là une autre histoire, une autre rencontre.